• CE N'EST PAS MON OPINION PUBLIQUE - Le discours sécuritaire a encore frappé

    Ce jeudi, la Chambre des représentants a adopté à la majorité un projet de loi durcissant le régime des libérations conditionnelles. La libération conditionnelle signifie que le détenu continue à purger sa peine à l'extérieur de la prison en se soumettant au respect de toute une série de conditions.

    A l'heure actuelle, le régime, organisé par la loi du 17 mai 2006, prévoit que les personnes condamnées à une peine de plus de trois ans peuvent introduire une demande de libération conditionnelle au tiers de leur peine et aux deux tiers de celle-ci si elles sont récidivistes (sans que la durée de la peine subie n'excède 14 ans), et que les personnes condamnées à perpétuité sont admissibles à la libération conditionnelle après dix ans d’incarcération ou seize ans si elles sont en état de récidive.

    Dorénavant, les personnes condamnées à des peines d'au moins trente ans auraient accès à la libération conditionnelle non plus au tiers mais à la moitié de leur peine (15 ans). Une personne d'abord condamnée au correctionnel à une peine d'au moins trois ans et qui serait ensuite condamnée à une peine de trente ans ou à perpétuité à la suite d’une récidive, ne pourrait introduire sa demande de libération conditionnelle qu'après 19 ans. Quant à une personne condamnée en assises à cinq ans au moins qui récidivrait et serait condamnée à une peine de trente ans ou perpétuité, elle ne serait admissible à la libération conditionnelle qu'après 23 ans de détention.  

    Pour les personnes condamnées à une peine de trente ans ou perpétuité et mis à disposition du TAP, c'est un TAP composé de cinq juges qui devrait décider à l'unanimité d'octroyer une libération conditionnelle.

    Lorsqu'ils atteindraient le délai pour introduire une demande de libération conditionnelle, les détenus devraient faire cette demande eux-mêmes au tribunal d'application des peines (TAP), alors que le régime actuel prévoit que cette demande est transmise de façon automatique au TAP.

    L'ensemble des avocats, magistrats, le conseil supérieur de la justice, l'OBFG, la ligue des droits de l'homme, etc. demandent à l'unisson au gouvernement de ne pas céder au populisme et à l'assemblée législative de ne pas adopter dans la précipitation une réforme dont les conséquences seront dramatiques pas seulement pour les détenus, mais pour la société tout entière.

    Il est rare aujourd'hui qu'autant d'acteurs parlent d'une même voix, et pourtant, cette voix n'a pas trouvé d'écho ni auprès du gouvernement ni auprès de la Chambre des représentants. C'est au Sénat qu'il appartient à présent de lire et voter le projet.

    Bref, c'est presque cuit.

     Mais pourquoi tout va si vite, sans réflexion ? Aucune loi ne devrait être adoptée dans la précipitation ! Légiférons et réfléchissons ensuite ?

    Il semble que la nouvelle façon de communiquer de notre gouvernement soit de répondre au fait divers en adoptant dans l'immédiat des lois toujours plus répressives, toujours plus "sécuritaires". Parce que c'est bien cela que la population souhaite, n'est-ce pas ?

    Mais attendez une minute (si l'on dispose encore d'une minute). Est-ce que ce projet de loi apportera réellement plus de sécurité à notre population ?

    Qu'est-ce que cela signifie concrètement qu'un détenu reste plus longtemps en prison ?

    En bref, les détenus n'ont déjà pas beaucoup d'outils pour préparer leur réinsertion mais la libération conditionnelle leur permet un temps de ré-adaptation à cette société dont ils ont été exclus pendant de longues années. Ils sont libérés mais guidés par les conditions qu'ils doivent respecter. La réforme vise à leur retirer de ce temps précieux de ré-adaptation. Ils "retourneront" dans la société moins préparés, davantage perdus… Les risques qu'ils récidivent sont donc plus grands, ce qui signifie moins de sécurité. En d'autres termes, la réforme envisagée par le gouvernement va à l'opposé de l'objectif sécuritaire qu'elle poursuit.

    Quant à supprimer l'automaticité de l'accessibilité à la libération conditionnelle et exiger une démarche volontaire du détenu, cela revient tout simplement à ce que la plupart des détenus se trouveront dans une situation où ils auront le droit de faire cette demande mais sans en être conscients, car peu instruits ou non assistés d'un avocat – histoire de renforcer l'exclusion.

    Certains acteurs de justice vous diront qu'il ne faut pas changer un système de libération conditionnelle qui jusqu'ici s'est montré globalement satisfaisant. Les chiffres de 2011 des maisons de justice montrent que parmi les (pas si nombreux toutefois) détenus qui ont eu accès à la libération conditionnelle, seulement 5,5% récidivent (http://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-liberation-conditionnelle-un-dispositif-qui-a-fait-ses-preuves?id=6333243). Si la libération conditionnelle fait ses preuves, le système actuel est loin d'être satisfaisant, en raison notamment d'un manque de ressources criant pour véritablement accompagner les détenus dans leurs démarches (ils sont sous liberté "surveillée" plutôt qu'"accompagnée"). Mais il est clair que cette réforme conduirait à bien, bien pire.

    La prison est l'environnement le moins "social" qui existe, une sorte de grand parking de personnes qui, pour la plupart, sont depuis longtemps en marge de la société en raison de leur faible niveau de formation, de leur milieu social, d'un quotidien de violence… ou de personnes qui un jour ont dérapé (ça pourrait être vous).

    Pourtant, cette prison a-sociale a pour objectif de "resocialiser" le détenu. Mais comment ? La plupart des détenus qui souhaitent travailler sont sur une liste d'attente. Il n'y a pas assez de budget pour assurer à tous les détenus des formations et un encadrement psychologique et pédagogique. Vont-ils préparer leur réinsertion en restant entre quatre murs avec pour seuls contacts d'autres détenus et la télé comme fenêtre sur "la société" ? Ce n'est qu'en sortant de cet univers asocial qu'ils pourront se re-socialiser, progressivement, dans le cadre de permissions de sorties et de congés pénitentiaires d'abord, puis de surveillance électronique et finalement de libération conditionnelle.

    Ceux qui déclarent qu'il faut rallonger les délais d'accès à la libération conditionnelle devraient avoir le courage de leurs opinions et aller jusqu'au bout de leur pensée : ils ne croient pas en l'objectif de réinsertion assigné aux prisons. Sinon, le budget aurait été consacré à véritablement travailler avec les détenus. Les responsabiliser, tant vis-à-vis des faits commis que vis-à-vis de leur avenir dans la société en leur apprenant à être autonomes (notamment une aide aux différentes démarches administratives, rencontres avec des futurs employeurs, etc.).

    Et j'entends déjà certains s'exclamer : quoi ? Après ce qu'il a fait, encore l'aider à trouver un travail ? Et puis quoi encore ! Moi je connais des personnes "très bien" qui sont au chômage alors leur trouver un travail à "eux" ! Une aide psychologique? Et les victimes alors?

    C'est vrai. Cependant - sans rappeler qu'ils ont purgé une peine pour les faits qu'ils ont commis - revenons-en à votre grande attente : votre "sécurité". A part quelques cas exceptionnels, tous les détenus sortent un jour de prison. Et quel genre de personnes voulez-vous croiser à leur sortie ? Des personnes ayant perdu toute habilité sociale, incapables de trouver un emploi en raison de leurs antécédents et de leur manque, voire absence, de formation, sans repères et qui après avoir frappé à toutes les portes ne voient plus d'autres chemins devant elles que celui qui les avaient conduites tout droit en prison ? Ou des personnes qui auront mené une réflexion, se seront formées, se seront prises en main et seront prêtes à réintégrer notre société ?

    Bien sûr, cela nécessite un certain budget, mais le budget est là ! - sauf qu'il sert à construire encore et encore d'autres prisons où parquer la violence et la misère sociale, qui ne cesseront d'augmenter si l'on ne s'attaque pas au cœur du problème. 

    Faits divers, tsunami médiatique, du sensationnel ! Quelle opportunité parfaite pour la récupération politique : légiférons en faisant grand bruit pour masquer l'inaptitude de notre gouvernement actuel à se poser les véritables questions… puisque l'opinion publique veut du sécuritaire, de la répression ! (mais pas d'austérité).

    Mais QUI est cette opinion publique ? Vous êtes-vous déjà demandé si vous vouliez vraiment plus de "sécuritaire" ?

    C'est vrai qu'on ne se pose plus trop de questions… Quoi, un détenu condamné à trente ans de réclusion ne reste pas trente ans en prison ? Une personne s'indigne, une autre, tout le monde s'indigne, on ne sait plus trop pourquoi mais puisque tout le monde s'indigne. C'est scandaleux, c'est vrai que c'est scandaleux, non ?

    Bien entendu, depuis que nous avons six ans, c'est ce que l'on nous apprend : répéter. 1 et 1, 2, 2 et 2, 4, 4 et 4, 8, répétez dit le maître ! Si durant toute notre "éducation", nous ne nous avons pas appris à penser par nous-mêmes mais à accepter les vérités enseignées, pourquoi remettre en question l'opinion publique qu'on nous attribue ?

    Ceci n'est pas un article sur le projet de loi modifiant notre régime de libération conditionnelle. Je tenais à exprimer par ces quelques lignes que non, je n'appartiens pas à cette opinion publique sécuritaire à laquelle les gouvernement/assemblée législative attribuent des attentes qui ne sont pas les miennes.

    Et vous je vous le demande, est-ce donc votre opinion publique ?

    Evaluez votre humanité en vous demandant comment traiteriez-vous les détenus de notre société. Souhaitez-vous vivre dans une société incapable de pardonner ? 

    Olivia

     

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