• Beaucoup d'artistes redonnent aux 33 tours une place de choix dans leur matériel promotionnel et les rééditions de classiques sur ce support pleuvent. Une tendance qui ravit les onze usines européennes spécialisées dans la production des disques noirs. Parmi elles, une entreprise familiale perdure. Et heureux hasard, elle est située en Belgique.

    Herk-de-Stad, village paisible dans la banlieue de Hasselt. Au milieu des champs se trouve l'usine Discomat. Une fumée blanche s'échappe des cheminées sur le toit. Seul indice extérieur que le bâtiment renferme une activité tant un calme plat règne sur le parking ce matin.

    L'entrée à peine franchie, Tom Willems, le grand patron, nous accueille. Cheveux blonds gominés vers l'arrière et visage rond d'enfant malicieux, le personnage inspire la sympathie.

    Il nous fait patienter dans son bureau. Une pièce imprégnée d'une odeur forte de tabac froid et à la décoration d'une autre époque. Des meubles certainement non remplacés depuis la création de la firme en 1974. Presque trois décennies pendant lesquelles père et fils n'ont jamais stoppé la production et ont vu le marché évoluer. Support privilégié de la disco puis des DJ's, le microsillon a séduit les autres genres musicaux, du pop-rock au métal.

    Notre guide est de retour, la visite peut commencer. Sans traîner, le timing est serré. Dans le couloir, les plus grands faits d'arme sont accrochés au mur. Technotronic et 2 Unlimited. Des succès eurodance des années nonante pressés jusqu'à 100 000 exemplaires. Aujourd'hui, un gros tirage équivaut à mille pressages... Mais le nombre de clients réguliers a explosé au fil des années, passant de cinquante à 1200!

    L'heure du bain

    La première étape est le laboratoire. Un local sombre qui empeste les produits chimiques, l'éthanol entre autres. "Je suis pas spécialiste en chimie, mais ça coûte cher" résume notre hôte en rigolant.

    C'est ici que commence le processus de réplication. Enfin, presque… Le master est fabriqué aux Pays-Bas. Ce disque original en aluminium est recouvert d'une laque semblable au vernis à ongles. La musique y est gravée à l'aide d'un diamant. Mais trop fragile pour résister au pressage, une version plus robuste doit en être fabriquée.

    Le personnel est rôdé à l'exercice. Il faut d'abord vaporiser le master d'une formule alliant argent et produits adhérents. Ensuite, passage obligé dans un bain de nickel. Un plongeon de trois heures dans un appareil ressemblant étrangement à une friteuse de fast-food. Le temps nécessaire pour que le courant électrique diffusé permette la réaction chimique. A la sortie de l'eau, il ne reste plus qu'à détacher le moule obtenu, la matrice de pressage. Direction la salle des machines. Le patron vérifie sa montre.

    Les oreilles à rude épreuve

    Premier constat: le bruit est assourdissant. Impossible de s'entendre. La source de ce vacarme? Huit presses disposées en L fonctionnant quasi simultanément. Des petits robots vert pastel qui donnent l'impression d'être autonomes. Pourtant les deux ouvriers veillent minutieusement au grain. Au cas où il y aurait surchauffe. Pas impossible avec un rendement de 15 000 vinyles par semaine… "Ils sont gourmands ces engins!", crie Tom Willems. Plus de 8000 litres de carburant par mois.

    Le sol est jonché de petits grains noirs et transparents. Au toucher, ils rappellent des grains de café. Mais il s'agit de polychlorure de vinyle. Un dérivat du pétrole cher et polluant. Dans les presses, ces granules sont transformées en des "petits pains" caoutchouteux. Ces galettes chaudes (150°) subissent une pression de 110 tonnes entre deux matrices – les faces A et B – pour donner un 33 tours flambant neuf.

    C'est à cette "naissance" qu'est venu assister un comique flamand. Il a décidé de sortir son dernier spectacle sur un support original. Caméra à la main, il filme la pile de vinyles augmenter à intervalle régulier de vingt secondes. S'ensuivent 24 heures de refroidissement entre des disques métalliques. Avant une mise en pochette manuelle, "un contrôle supplémentaire". Le chef demande à son ouvrière d'accélérer l'emballage.

    "Business is business"

    Le premier disque qui sort de la machine est écouté dans le studio. Pour s'assurer de la qualité de la série. Au programme aujourd'hui dans la pièce capitonnée, un tube italo-disco. Pas question de poser des choix artistiques pour Tom Willems. "Chaque euro est le bienvenu!". Son marché actuel, c'est l'export. 90 % de sa production s'écoule en Russie, en Chine et en Turquie. Pour garder une bonne position, il faut éviter toute augmentation de prix peu importe le coût des matières premières. Même si le marché est stable, la concurrence des fabricants d'Europe de l'Est se fait sentir. "Ces usines dictent les règles en fixant des prix bas".

    La travailleuse siffle, la commande est prête. Notre hôte doit partir. Direction l'Allemagne à bord de sa camionnette blanche. Alors qu'il est rentré à 4h du matin de la précédente livraison. Pas le temps de souffler. Chez Discomat, le vinyle ne connaît pas la crise.

    Kevin Plasman

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