• Que penser de l’article de Jean Quatremer ?

    Sous les pavés, la dépression ? Vraiment ?

     

    L’article fait polémique, et constitue certainement un excellent coup médiatique. Rien de tel pour faire parler de soi qu’un article suffisamment ambigu que pour faire crier les deux partis concernés. Cela fait autant de gens en plus qui lisent et prennent position, et qui au final retiennent deux noms : Libération et Quatremer. Rien de neuf sous le soleil, Libé n’en est pas à son coup d’essai dans le domaine.   

    Il peut dès lors sembler un peu paradoxal de rédiger un billet sur le sujet : n’est-ce pas rentrer dans la polémique et encourager précisément ce que je viens de condamner ? Oui. Contradiction, pas moyen d’y échapper. Mais d’un autre côté, à l’instar du ridicule, la contradiction n’a jamais tué personne, et surtout, pour un petit bruxelleer amoureux de sa ville, de sa diversité, et surtout de ses gens, il me fallait quand même réagir. Et ce d’autant plus que j’ai quand même une ou deux remarques qui, je l’espère, valent quelques minutes de votre attention.

    Pour commencer, je ne peux que vous partager un sentiment. En lisant l’article de Quatremer, j’avais une profonde pitié pour lui et pour sa misère. Je me suis dit que la Bruxelles qu’il décrivait était bien triste et sordide, et que cette Bruxelles là, il la tirait bien de quelque part. Si il pouvait la peindre aussi noire, c’est qu’il la voyait, et pire, qu’il la vivait aussi noire qu’il nous la montre. Alors qu’à l’inverse, la Bruxelles que je connais est riante et solaire. Comment deux visions aussi contradictoires peuvent-elles émerger de regards sur un même objet ?

    De fil en aiguille, cette histoire m’en a rappelé une autre que les férus de culture biblique connaissent : celle des deux étrangers qui arrivent dans une nouvelle ville et demandent l’un après l’autre à un vieillard qui se trouve à l’entrée de la ville : « comment sont les gens ici » ? Le vieillard, après leur avoir demandé comment étaient les gens qu’ils venaient de quitter dans leur ville d’origine, donne la même réponse aux deux étrangers : « Tu trouveras les mêmes ici ».  Mais les conséquences sont bien différentes, car à l’un il promet une socialité riante, alors qu’à l’autre il annonce une ville de gens méchants et sournois. Sans prétendre que Jean Quatremer ne pouvait pas piffer les parisiens qu’il a quittés, il me semble qu’une telle vision noire de Bruxelles reflète bien un mal-être dans son rapport à la ville qu’il habite, et sans doute à ses habitants : mon petit doigt me dit qu’un chroniqueur épanoui n’aurait pas pu écrire un tel article sur une ville où il est bien intégré. Comme quoi, les intégrations les plus difficiles ne sont pas toujours celles qu’on pense.

    Mais revenons à l’histoire des deux étrangers. Ce qu’elle souligne bien au final, c’est qu’une même réalité sociale peut être perçue de manières très différentes en fonction de comment chacun s’y investit. Car la Bruxelles de Quatremer n’est pas la mienne, et je lui défends d’affirmer que son point de vue est plus objectif que le mien[1].  On voit bien le panorama (stéréotypé comme il faut, presque inspiré de Zola pourrait-on dire) : les trottoirs défoncés ou inexistants, les accidents mortels sur la petite ceinture, les immeubles gris de l’Avenue Louise qui ont remplacé les joyaux de l’époque, la crasse et la saleté, les graffitis. Il ne manque plus que les statistiques météorologiques du mois de mai pour vous dégoûter à jamais. Et tout cela, quoique le trait soit forcé dans l’article, est vrai sous un certain angle. Mais précisément, c’est ce « certain angle » qui compte. Car l’article de Quatremer ne dit rien du Bruxelles que je vois et que je vis, qui est un Bruxelles fait de nuits botaniques, de trams et de vélos, de parcs et de soirées qui n’en finissent pas au hasard des rencontres. C’est pourtant la même ville, mais Jean Quatremer et moi l’habitons différemment. Pour le dire rapidement, il me semble que cet article est plein d’un pessimisme qui ne voit que le verre à moitié vide (voire totalement). Alors certes, ce pessimisme permet de faire ressortir quelques dysfonctionnements et quelques problèmes. Mais il passe sous silence les raisons pour lesquelles, Bruxelles est une ville agréable à vivre, décontractée, variée, un brin absurde et pleine de créativité. Il est toujours possible de ne voir que le côté négatif des choses. Ce qui est triste à cette attitude, c’est que c’est une spirale : moins bien on se sent, plus on voit les choses en noir, et moins on est enclin à les reconsidérer pour enfin y voir le positif. Cessez donc cela, Monsieur Quatremer, je ne vous souhaite pas de continuer à broyer du noir ainsi.

    De plus, l’article de Jean Quatremer, en plus de friser le stéréotype, caricature bon nombres de points. Certes des rues sont refaites et rouvertes suite à des problèmes de coordination, et il y a des morts sur la petite ceinture. Mais cela n’arrive pas tous les jours, et il me semble que le désordre bureaucratique ou les accidents de la route ne sont pas une spécificité bruxelloise. Et surtout, l’un dans l’autre, ces péripéties malheureuses n’empêchent pas Bruxelles d’être une ville agréable à vivre au quotidien. Au final, j’en viens même à penser que bon nombre des traits que Quatremer fustige sont à mes yeux des forces de Bruxelles. Sus à l’uniformité du mobilier urbain ! La régularité, c’est pas mal, mais c’est quand même tout le temps la même chose… Bruxelles est tout de même une ville de variété. Une de ces villes où vous pouvez voir un immeuble art nouveau coincé entre une construction moderne et une vieille maison flamande. Bruxelles est une ville de communes, c’est (plus ou moins) vrai. Mais c’est cette diversité qui fait que vous pouvez vous promener à Ixelles, à Schaerbeek puis à Woluwe et avoir l’impression de côtoyer trois paysages urbains différents. C’est cette diversité qui fait qu’il est si difficile de choisir entre la place Flagey, la place Jourdan ou les Halles Saint-Géry pour aller boire un verre (sans parler du choix du bar après). Quelle différence avec la fameuse Paris ! Tous ces boulevards haussmanniens se ressemblent, et la différence y est en fait reléguée dans les quartiers extérieurs. À franchement parler je préfère le chaos ordonné et les parcs abondants du Bruxelles « bruxellisé » (même si cela passe par des regrets) aux larges avenues parisiennes de vieille brique hors de prix. Mais cela ne m’empêche pas d’être persuadé que Paris aussi doit être une ville fantastique à vivre, car je sais qu’y trouverai des gens qui me la rendront agréable.

    Aussi, pour conclure ce billet d’humeur, j’aimerais donner un conseil à Jean Quatremer et à ceux qui pensent comme lui. Car Bruxelles c’est surtout à mes yeux une ville où il fait bon vivre, une ville de théâtres et de terrasses, de concerts et de rencontres. Mais pour vivre cela, il faut prendre le temps de vivre, de sortir de chez soi et d’accepter de s’ouvrir à l’imprévu. Alors voilà mon conseil, Monsieur Quatremer : ouvrez-vous aux bruxellois, ils vous rendront la ville plus belle !

     

    Marcel Phanès



    [1] il est difficile de parler d’objectivité dans ces matières mais ça c’est un autre sujet

    Partager via Gmail Yahoo!

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    1
    Dimanche 9 Avril 2017 à 17:43
    angelilie
    2
    Mercredi 6 Janvier 2021 à 19:21

    Thanks for sharing story. Cek my blog: Seva Tempat Mobil Online

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :