• FLIGHT : FAUT-IL METTRE LE COMMANDANT DENZEL-WHIP EN PRISON ? OU AU CONTRAIRE, « GIVE HIM SHELTER » ?

    C’est la question que je me suis posée en regardant l’excellente bande-annonce du film Flight emmenée par le charismatique Denzel Washington et dynamisée par « Gimme Shelter », le très puissant tube des Rolling Stones.

    C’est la question que je me pose encore après avoir vu le film et découvert qu’il rate de peu le qualificatif « d’excellent » lui aussi. De peu car il est indéniable que Denzel Washington, le reste du casting ainsi que les effets spéciaux sont brillants ; et qu’il en va de même pour  la moitié du scénario. Mais voilà : la moitié seulement. Cette affirmation n’engage bien évident que moi mais j’espère parvenir à vous en faire comprendre les raisons.

    Tout comme « Gimme Shelter » a un côté brillant (l’énergie dégagée par sa mélodie) et un côté sombre (le tragique du texte), le personnage du capitaine Whip Whitaker offre un merveilleux mélange d’éclat et de déchéance : c’est un véritable héros, qui grâce à un sang-froid impressionnant et un remarquable instinct de survie parvient à faire atterrir une épave volante à moindres dommages, après le succès d’une manœuvre relevant pratiquement du miracle. Mais, derrière les apparences, c’est aussi un homme en perdition, constamment sur le fil du fait de ses addictions à l’alcool et à la drogue (ce qui, reconnaissons-le, n’est jamais très folichon mais l’est encore moins lorsqu’il s’agit d’un pilote !). Or, il me semblait découvrir ici le parfait scénario d’un film passionnant prenant le risque de se lancer dans un formidable débat éthique. Curieusement, mes impressions sur le cinéma américain m’avaient amenée à penser qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul fil rouge à cette histoire et que, comme il est de tradition à Hollywood, John Gatins (scénariste) et Robert Zemerick (réalisateur) nous proposeraient un Happy End peut-être pas très « juridiquement » défendable mais humainement éminemment compréhensible… En clair, j’aurais voulu qu’en lieu et place d’assister à un énième (bon, mais là n’est pas la question) film sur les addictions, j’ai le plaisir de découvrir une histoire dont le point de départ offrait une réponse positive à cette question :  « Le Commandant Whip Whitaker n’aurait-il pas réussi l’exploit de parvenir à poser cet avion, en sauvant près d’une centaine de passagers, précisément parce qu’ il était également sous influence de drogue et d’alcool qui, en annihilant ses émotions, lui ont permis de garder le contrôle de ses nerfs et d’ainsi déployer son génie de pilote ? ». Et dès lors, le film aurait pu devenir passionnant et peut-être répondre à ma question de savoir s’il fallait condamner le pilote… condamner un homme qui est un héros mais qui ne peut recevoir ce qualificatif que si l’on reconnait  l’entièreté de ce qu’est cet homme : un excellent pilote, soit, mais aussi un véritable addict. Voilà ce que j’aurais voulu voir, voilà le débat éthique auquel j’aurais voulu assister et j’aurais aimé entendre Don Cheadle (très bon lui aussi dans le rôle de l’avocat) plaider la cause de notre Denzel-Whip non pas en termes d’irrégularités de procédure (le cliché de la défense judiciaire) mais en termes d’actes héroïques et de bravoure, défendant le tout avec sagesse, éloquence et peut-être même un peu de grandiloquence comme les américains savaient si bien le faire avant.

    J’aurais voulu entendre les débats de l’opinion publique et des journalistes, non pas sur ce que ce héros avait à cacher, mais bien sur la question de savoir s’il était acceptable de glorifier un homme dont une part de l’héroïsme était redevable à ses démons. J’aurais voulu assister aux prises de position des uns et des autres : ceux pour qui seul le résultat aurait compté et ceux qui auraient choisi de se ranger à l’argumentation des compagnies d’assurance en pointant du doigt l’immoralité et l’irresponsabilité premières du comportement du pilote, puis écouter les délibérations des indécis. J’aurais voulu que le scénariste prenne le risque d’oser introduire l’idée que la part sombre d’un homme peut aussi être source d’actes d’éclat; parce que telle est la réalité de l’être humain. J’aurais voulu que les avocats soulignent le fait que la raison (le droit) ne pouvait pas tolérer et encore moins encourager un tel comportement en l’instituant héroïque par l’abandon des poursuites alors que le cœur ne pouvait que remercier cet homme sans le blâmer d’avoir utilisé ses ressources hors du commun, qu’importe qu’elles soient bonnes ou mauvaises, pour retourner une situation exceptionnelle.

    Et si vous voulez savoir comment j’aurais voulu se voir conclure cette affaire (si vous ne voulez pas le savoir, j’imagine que vous n’êtes de toute façon pas arrivés jusqu’ici…), hé bien je vous dirais que j’aurais bien évidemment apprécié la rédemption de notre héroïque pilote qui, et là est toute la subtilité, en acceptant de se faire soigner et de se débarrasser ainsi de ses addictions, aurait du même coup été à l’encontre et perdu « sa part héroïque », soit les exceptionnels points forts (paradoxalement, issus de ses faiblesses) qui avaient fait de lui un héros. J’aurais enfin voulu une justice un peu moins bêtement juridique (ce qui est un peu curieux, j’en conviens), un peu plus humaine et vraiment équitable qui aurait rendu un jugement éthique, raisonnable et éclairé tel qu’il faudrait en voir plus souvent . Aurais-je condamné Denzel ? Bien sûr, je lui aurais retiré - temporairement ou définitivement, ceci n’est que détail – sa licence de pilote et je l’aurais condamné à aller en réhab’ (un mot particulièrement pertinent dans ce contexte) en exigeant de lui l’assurance d’une participation convaincue et sincère… mais je l’aurais absout de tout le reste et aurais remercié le Ciel, Dieu, le hasard ou n’importe laquelle de ces entités représentant ce qui nous dépasse pour le fait que cet homme tel qu’il était – avec son éclat et sa déchéance – se soit trouvé à la place de pilote qui était la sienne pour sauver des vies et offrir un miracle au monde.

    Mais ça, ce n’est pas Flight, seulement le fruit de mes fantasmes d’étudiante un peu idéaliste perdue entre le monde juridique et celui de l’éthique. C’est aussi une attente qui aurait pu être légitime il y a quelques années, quand le cinéma américain n’était pas encore désabusé mais plein d’excès, jouant avec les extrêmes du très mauvais et du très bons. Mais ça, c’était avant, aujourd’hui Hollywood fait moins rêver et rentre dans les rangs. Un conseil final ? Allez voir Flight ! C’est un « presque excellent » film sur un crash aérien, des addictions et le besoin de trouver un coupable, dont la qualité des acteurs et de la « moitié du scénario » est amplement suffisante que pour valoir le détour…

    Ps : et (ré)écoutez « Gimme Shelter » !

    Pps : Vos avis sont évidemment les bienvenus, même s’ils sont contraires.

    Elodie Van Hove

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